ensemble


atelier piloté par le CENTQUATRE-Paris et mené par Jean-François Spricigo
13 au 31 mai dans les écuries du CENTQUATRE-Paris

La question de la représentation se pose d’autant aujourd’hui que l’outil photographique est intégré à nombre d’accessoires usuels. Le plus commun, le téléphone portable, remplit à la fois la fonction de propagateur d’informations privées ou publiques (souvent l’un confondant l’autre), auquel s’ajoute fréquemment la prétention d’imposer la preuve par l’image.
La perspective du témoin moderne ne consiste pas tant à observer un évènement que de s’y faire voir.
Le « savoir-faire » importe dès lors bien moins que le « faire-savoir ».

Quelle place reste-t-il à l’humilité, précieuse amie de la lucidité ?
Comment se regarder sereinement si ce n’est en regardant mieux le monde tel qu’il est et non tel que nos peurs ou nos désirs de sécurité voudraient le réduire ?
Et si nous laissions libre l’ensemble des énergies nous traverser pour enfin oser jouer ?
La discipline, l’exigence, c’est avant tout de constater le jeu – sans feindre d’en ignorer les règles – ainsi le « je » s’exprime en dehors de la revendication, l’essentiel devient nécessaire.
Il n’y a pas plus de légitimité au ressenti du bonheur qu’à celui du malheur, cette considération évolue, voire s’inverse dans le temps. Rien à attendre ni à atteindre, simplement être à l’attention de ce qui est déjà là. Observer avant de commenter, accueillir sans craindre, constater que la satisfaction n’est pas dans la récompense.

L’exploration tranquille offre la distance appropriée, le détachement sans l’indifférence.
Je leur ai proposé cette disponibilité, ils l’ont accepté, ils l’ont investi ; c’est avec joie et émerveillement que j’ai rencontré les élèves du collège Valmy.

Jean-François Spricigo

(…) La Fatuité moderne aura beau rugir, éructer tous les borborygmes de sa ronde personnalité, vomir tous les sophismes indigestes dont une philosophie récente l’a bourrée à gueule-que-veux-tu, cela tombe sous le sens que l’industrie, faisant irruption dans l’art, en devient la plus mortelle ennemie, et que la confusion des fonctions empêche qu’aucune soit bien remplie. La poésie et le progrès sont deux ambitieux qui se haïssent d’une haine instinctive, et, quand ils se rencontrent dans le même chemin, il faut que l’un des deux serve l’autre. S’il est permis à la photographie de suppléer l’art dans quelques-unes de ses fonctions, elle l’aura bientôt supplanté ou corrompu tout à fait, grâce à l’alliance naturelle qu’elle trouvera d’être la servante des sciences et des arts, mais la très-humble servante, comme l’imprimerie et la sténographie, qui n’ont ni créé ni suppléé la littérature. (…)

Je sais bien que plusieurs me diront : « La maladie que vous venez d’expliquer est celle des imbéciles. Quel homme, digne du nom d’artiste, et quel amateur véritable a jamais confondu l’art avec l’industrie ? » Je le sais, et cependant je leur demanderai à mon tour s’ils croient à l’action des foules sur les individus et à l’obéissance involontaire, forcée, de l’individu à la foule. Que l’artiste agisse sur le public, et que le public réagisse sur l’artiste, c’est une loi incontestable et irrésistible ; d’ailleurs les faits, terribles témoins, sont faciles à étudier ; on peut constater le désastre. De jour en jour l’art diminue le respect de lui-même, se prosterne devant la réalité extérieure, et le peintre devient de plus en plus enclin à peindre, non pas ce qu’il rêve, mais ce qu’on lui impose de voir. Cependant c’est un bonheur de rêver, et c’était une gloire d’exprimer ce qu’on rêvait ; mais que dis-je ! connaît-il encore ce bonheur ? L’observateur de bonne foi affirmera-t-il que l’invasion de la photographie et la grande folie industrielle sont tout à fait étrangères à ce résultat déplorable ? Est-il permis de supposer qu’un peuple dont les yeux s’accoutument à considérer les résultats d’une science matérielle comme les produits du beau n’a pas singulièrement, au bout d’un certain temps, diminué la faculté de juger et de sentir ce qu’il y a de plus éthéré et de plus immatériel ?

Charles Baudelaire 1821-1867 / Extrait du Salon de 1859

Château de Seneffe

exposition collective du 25 avril au 11 novembre 2015 au Domaine du Château de Seneffe

Quelle a été votre première fois à Seneffe ?
Il y a quelques années, à l’occasion d’une lecture de texte de mon ami Marcel Moreau donnée par le comédien Denis Lavant.

Quelle a été votre première impression en arrivant au domaine du château de Seneffe ?
Joli parc, dommage que tout y soit si « organisé ».

Le lieu vous a-t-il parlé, inspiré ou impressionné ?
Aucun des trois, l’architecture est dans la logique ostentatoire de nos homologues français dans laquelle je n’ai pas encore trouvé ma place.

Qu’est-ce qui est le plus difficile ici à Seneffe, pensez-vous ?
Je ne comprends pas la question.

Qu’avez-vous pensé du projet et cela vous a-t-il de suite suscité des « images » ?
Une promenade proche de la nature est toujours un argument de joie.

L’élément déclencheur pour participer à l’exposition a-t-il été le défi face au parc (élément naturel) et à la taille du support ou le sujet en tant que tel ?
La demande était au départ simple et charmante, ça me suffit amplement pour m’intéresser à l’autre.

L’œuvre (ou les) que vous avez choisi pour Seneffe, est-ce un nouveau défi, un coup de cœur, une envie de marquer le lieu, … ?
Je laisse les défis aux sportifs, les coups de cœur aux critiques, et aux tombes le soin de marquer le lieu.

Lorsque vous photographiez, pensez-vous nature, culture, architecture, ou humain ?
J’essaie de ne pas savoir… l’essentiel est de sentir ce qui est là.

Le jardin (voire la nature) est-ce un élément habituel dans vos photos ?
C’est le principal « cadre » dénué d’artifice. Tout ce qui est lié au culturel s’exprime dans la plupart des cas à travers la revendication ; la nature est là, simplement. Elle correspond à l’immémorial point commun originel de chacun. Elle ne se manifeste que par évidence, la seule violence qu’elle semble en apparence nous opposer tient à la résistance que nous avons pour l’aborder.

Le percevez-vous juste comme un « fond » ou est-ce un sujet à part entière ?
Ce qui est essentiel est ce qui est là, le reste est discursif. Pour moi, il n’y a pas de sujet, ou alors vous faites de la politique, de la psychologie ou l’une des nombreuses déclinaisons de la sociologie. C’est tout à fait louable évidemment, mais je ne me sens pas concerné par cela. L’explicatif n’entre pas dans le champ du ressenti, à chacun de vibrer selon sa fréquence, il n’y a rien à démontrer. Cependant la duplicité propre à la sémantique des idéologues en vogue est là pour nous expliquer que tout s’explique.

Et pour vous personnellement, le jardin est un lieu de vie, de calme, d’inspiration, … ?
J’y suis moins réceptif quand il est conditionné par des critères qui excluent le naturel au profit de la modernité du moment.

Quelle est pour vous votre vision du rapport de l’homme et de la nature ?
Beaucoup de larmes dans ma vision… j’apprends à accepter l’aigreur humaine ordinaire à principalement envisager la nature comme une stricte source d’énergie. J’ai cependant le sentiment que de plus en plus d’individus la vivent autrement, sereinement, ça réchauffe le cœur.

Côté technique, vous êtes davantage argentique ou numérique ? Est-ce que le numérique vous a bouleversé ?
La photo est un rectangle à investir, le récipient importe peu. Les usagers font ce qu’ils ont à faire, le débat sur ce sujet appartient aux moralistes et aux marchands.

Comment percevez-vous la photographie en tant qu’art ? Adhérez-vous à un courant ?
Je ne me sens pas concerné par ces questions.

Préférez-vous saisir l’instant ou le mettre en scène ?
Observer une situation participe déjà à en changer son déroulement… à partir de là, à vous de placer les critères de ce qui est mis en scène ou non.

Votre façon de photographier est-ce la représentation d’une réalité, d’une émotion, un témoignage (d’humanisme), une trace, … ?
Il s’agit d’un geste, rien de plus, ni de moins. Un geste au plus proche de la respiration liée à l’évènement qui se déroule, un geste qui prolonge, comme le vent accompagne les paysages du promeneur.
Le devoir de mémoire, la nécessité de laisser une trace, et autres velléités d’éternité appartiennent à la vanité. Préférer l’illusion flatteuse du symbole plutôt que l’éphémère intensité de la vie elle-même est à la fois mensonger et profondément morbide. Il suffit d’envisager les espèces et les civilisations disparues pour se rendre compte de la vacuité de cette revendication. Cela sert principalement la propagande névrotique consistant à ajourner l’instant à vivre dans l’espoir vain de ne pas disparaître.
Tout est dans l’instant, le reste est un paradigme totalitaire que trop de gens imposent à d’autres afin de préserver l’image qu’ils ont d’eux-mêmes.

Le noir et blanc ou la couleur, en préférez-vous l’un à l’autre et comment expliquez-vous votre choix pour Seneffe ?
Dans mon cas, il se trouve les deux. C’est un hasard.

Quelle réaction pensez-vous que le promeneur aura en voyant vos photos à Seneffe ?
Celle qui sera forcément appropriée et en relation avec eux-mêmes.

Ciel d’orage, tourbillon et silence est-ce là votre univers naturel ?
Je n’ai pas d’univers isolé, je vis dans le même réel que tout à chacun. Je me sens en phase avec ce réel quand j’en accepte le vertige de ses paradoxes. Parfois je parviens à en rendre humblement l’écho.

Que trouvez-vous dans la nature et chez les animaux que vous ne trouvez pas chez l’homme ?
L’être humain n’est pas exclu des groupes nature et animaux que vous citez. Je ne fais aucune hiérarchie entre ces éléments. Tous participent à la vie de chacun, et ce tout est indissociable de la survie de l’ensemble. Il se trouve que mon langage s’articule à partir d’une culture spécifique liée à l’espèce humaine. Par ailleurs le langage non verbal est tout aussi riche et s’adresse à encore davantage d’êtres vivants. Claude Levi-Strauss dans « Le Regard éloigné » écrivait ceci : Les problèmes posés par les préjugés raciaux reflètent à l’échelle humaine un problème beaucoup plus vaste et dont la solution est encore plus urgente : celui des rapports de l’homme avec les autres espèces vivantes. Le respect que nous souhaitons obtenir de l’homme envers ses semblables n’est qu’un cas particulier du respect qu’il faudrait ressentir pour toutes les formes de vie.

Et le fait de les prendre en photo c’est pour figer l’instant ou montrer à l’homme tout ce qu’il a perdu (voire jamais eu) ?
Je le fais car j’en ai jusqu’à présent la capacité. Je n’ai aucune vocation à convaincre quiconque de quoi que ce soit. J’essaie de partager sincèrement ce qui me tient à cœur, je l’exprime à travers le médium qui s’impose à moi en fonction de la situation.

L’homme n’existe-t-il en tant qu’humain que lorsqu’il est dans l’œuf ?
Je ne comprends pas la question.

La vie est-elle un sac de nœuds dans lequel on se débat ?
La vie est merveilleuse, fascinante, surprenante, parfois douloureuse en apparence, mais toujours pour préparer un terrain plus serein, il suffit d’y être disponible.

La photo rend-elle cette beauté des émotions et cet instant saisi et présent dans la nature ?
La photographie est un intermédiaire entre soi et le réel, elle est loin d’être indispensable pour y accéder. Pour l’heure j’en ai besoin pour y voir clair, tant mes yeux sont encore embrumés.

Préférez-vous la photo, le théâtre ou le cinéma pour vous exprimer ? Et pourquoi ? Ou chacun contribue-t-il à sa façon à vous permettre de vous exprimer artistiquement parlant ?
Chacun prolonge l’autre. Cela devient rapidement insipide de ne manger que sucré, salé, amer, etc.… Il en est de même pour la création, elle se réjouit de la pluralité du monde.

entretien avec Jean-François Spricigo et la responsable de la communication du Domaine du Château de Seneffe, avril 2015

à propos du livre

lien vers l’article

On avait découvert ce jeune auteur en 2008, à la faveur du Prix de Photographie de l’Académie des beaux-arts, qui couronnait un de ses premiers travaux, Anima. Jean-François Spricigo y photographiait les bêtes comme personne, en fables noires déchirées par les éclairs de flash comme par les reflets de la lune. Et puis l’enfant prodige a fait son chemin, élargi le champ de ses réflexions sur la vie traitée comme une fable, sur l’enfance et sur la mort, sur la sensualité et le désert, avec la maturité de l’écrivain qu’il est aussi parfois. Voici que les éditions de L’œil lui consacrent un premier ouvrage monographique, riche de tout ce qui fait l’univers de Spricigo, absolument sombre et tendre, résolument chaotique, éminemment poétique. Où l’on voit que le photographe s’insinue en alien dans ce paysage si formaté de la photographie contemporaine plate sérielle et désincarnée pour interroger et troubler son lecteur. Le livre vient comme un bel objet, doux au toucher et bouleversant au feuilletage, vibrant de tout ce qui traverse l’inspiration d’un artiste et entrecoupé de textes de certains des bons génies qui ont croisé sa route. On y retrouve le beau portrait d’Hiko exposé en 2009 à l’Institut de France et que, dans le hors-série d’octobre 2009 de la Revue des Deux mondes, son maître saluait en ces termes fondateurs “J’ai appris la photographie avec un chien, peut-être devrais-je dire que j’ai reçu de ce chien ce que me révèle depuis la photographie, ma propre vie. Il s’appelait Hiko”.

Hervé Le Goff

livre – toujours l’aurore

Jean-François nous dit ce qu’il a appris et ce qu’il désapprend.
Jean-François se méfie des chemins, leur préférant l’espace.
Jean-François respecte trop sa soif pour manquer d’eau.

Hiko, Marcel, le Loup, l’Enfant, le prophète
les héros de Jean-François,
ce ne sont pas des créatures tout en douceur.
« le loup qui comprend l’agneau est perdu (…) » disait Michaux.

Jean-François dit partir.
Mais pour lui partir, s’évader, c’est se construire.
Faiseur de lucidité, il sait que toute pensée qui ne se cherche pas devient une morale sans issue.
Il sait que tout lui reste encore à faire, jusqu’à l’aurore.

Pierre Dailly

textes et photographies de Jean-François Spricigo
les éditions les pierres
mai 2012 | 12 x 12cm, imprimé sur papier recyclé | 68 pages, 8 photographies  | 10 €

voyage autour de ma chambre

2010.11.06 – 2010.12.18    Le Vecteur (Charleroi, Belgique)

Une exposition déraisonnable proposée par Olivier Smolders sur le thème des cabinets de curiosités : peintures, objets, films, photographies, sculptures, dessins, curiosités sur le cinéma, les insectes, le surréalisme, les femmes et mille autres sujets indémodables.

avec Quentin & Michel Smolders, Jean-François Spricigo, Pascaline Wollast, Vincent Fleury, Christian Bussy, Nicolas Chevalier.