manifeste

Créer comme l’oiseau bat des ailes, pour ne pas tomber.
Cependant, “qui” crée ?
L’envol appartient au détachement.
Abandonner les prétendus acquis, s’abandonner au réel
toujours il nous trouve.
L’inattendu est fécond.
Une fois le “je” dissous, la danse s’émancipe du danseur
le “jeu” devient possible.
Tenir à jour et à nuit ce journal improbable, déraisonnable
mais pas sans raison.
Rien à capturer, tant à partager.
Mieux vaut s’offrir à l’inconnu que souffrir du connu.
En photographie comme ailleurs, la netteté se focalise avant tout sur l’émotion.
Floue ou non
la sagacité d’une vision relie l’intime à la sensualité de son processus.
Le réel s’imprime en mouvement
le figer est un leurre dont nous sommes la proie.
Depuis l’enfance j’observe la nature.
Les animaux m’ont providentiellement apaisé
au regard de l’agitation des sociétés humaines.
Intensément présents, tout en spontanéité généreuse
vivifiés par leur audace sauvage, inlassablement ils exhument la joie.
Inspirent la confiance à s’autoriser une respiration alcyonienne.
Avec eux, j’apprends à discerner perfection ostentatoire et justesse.
La perfection ne nous concerne pas, seule la justesse nous revient.
Justesse affranchie de justifications et de louanges
pareilles aux fleurs à la fougueuse euphorie d’être
Indocile aux obédiences, je pressens néanmoins une foi salutaire
la Vie nous aime.
Elle s’épanouit à l’instant où j’abdique toute revendication à l’objectiver
assoupir l’exercice de ma volonté et le conditionnement de ma pensée.
Ainsi s’éveiller à l’incandescente relation
entre subjectivité insouciante et vérité insolente.
Oser notre part d’ombre pour (s’)accorder la stimulante clarté
Mon existence compte peu, seule conte la Vie.
Enlace en nous l’unicité dans l’immémorial universel
je n’incarne pas Son intention, mais Son expression.
Peu importe la forme choisie par la Vie, l’important est la Vie dans la forme.
Opposer “culturel” et “naturel” impose une terreur anthropocentrée
le présumé bénéfice commun se meurt souvent en intérêt particulier.
Culture, Nature, l’un est le langage de l’autre
ils se fertilisent quand ils s’enchantent.
Refermer la belle histoire promue par les marchands de rêves
tendrement s’ouvrir à l’immensité, insondable et puissante, jusqu’en ses paradoxes.
À mesure des démesures, accueillir l’inarrêtable en son cœur
transcender le tumulte en palpitations.
Sans devenir ni nostalgie, la vraie beauté pousse à l’ombre des apparences.
Longtemps la photographie m’a ouvert au monde
aujourd’hui se déploient également l’écriture, la vidéo, la scène, et la rencontre en atelier.
Multiplicité propice à embras(s)er les jouissives colorations des horizons offerts.
Vivre, créer, quelque forme que cela prend, engage l’être entier dans l’événement
coruscation joyeuse, vive présence non identifiée aux peurs
ou à l’autorité unilatérale des manques déguisés en désirs.
Concevoir sereinement cette perspective, hors de tous dogmes
au-delà de toute formulation
la Vie nous aime.
Nul besoin d’en faire un objectif, Elle mûrit dans l’évidence.
Rien à atteindre, le nécessaire est déjà là.
Tout ce que je n’intègre pas, par essence me désintègre.
Accepter le paradoxe pour cesser de souscrire à la contradiction.
Alors pouvons-nous cohabiter avec nos forces obscures comme promesse de lumière ?
L’inconnu à explorer forge son intensité.
Ce récit ne constitue ni une série ni un concept
nulle pensée même
à l’exception de la fleur du même nom, prolonger l’effloraison des sens.
La Vie ne s’exprime pas en série, tout est neuf, inlassablement.
Pas davantage de démarche, mais des marches
sous la pluie, le vent, le soleil, bordées de l’infini du ciel auprès duquel pressentir l’infini en soi.
S’envisager sans plus dévisager, chacun, ensemble.
Conquête à l’acuité fragile
l’issue sera la chute
mais je ne tombe pas.
Le vertige des gouffres est celui des révélations.

Jean-François Spricigo